august 2019
Marlène Poste & Tessa Joosse
EXT/NUIT – POINTE DE PERN
Le vent souffle, Margue grelotte autant de froid que de colère. Elle marche à pas vif sans voir où elle met les pieds, habituée, toujours au bord de la chute, toujours maintenant son équilibre.
Elle arrive au bord de la falaise, face à la mer. Noir, le fracas des vagues, du vent, comme le soir du naufrage. Ses yeux lancent des éclairs. Un bêlement la fait se retourner, lever la tête. Sur une roche en hauteur, un mouton noir la contemple d’un air passif.
Margue prend une grande inspiration.
MARGUE
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!!Le mouton ne cille pas. Il en a vu d’autres. Margue rebrousse chemin.
Elle trouve refuge entre deux gros rochers semblables à des dalles. Elle est abritée du vent, ses rubans ne lui reviennent plus dans la figure. Elle sort la bougie de la poche de sa jupe. Le petit moignon de cire jaune, inerte, renvoie à peine la lumière de la lune.
Margue souffle sur la mèche. Elle s’allume. Les sons de l’extérieur disparaissent. Margue est totalement seule dans son petit halo de lumière. Elle se laisse aller contre la roche, apaisée.
Lorsque nous sommes arrivées au sémaphore, nous portions déjà ce projet de film depuis un an. Il n’avait pas vraiment de titre, et n’en a toujours pas à l’heure actuelle parce que l’écriture prend souvent des chemins détournés. Nous avions des idées de personnages, très fortes, des idées de scènes, mais il nous manquait l’incarnation du lieu pour donner cohérence à tout cela et avancer dans le travail. Nous avons fait beaucoup de repérages, participé à beaucoup d’ateliers de l’écomusée. Comme notre histoire se situe vers la fin des années 1680, avant la construction du Stiff, nous avions besoin d’imaginer quel pouvait être le quotidien des ouessantines de cette époque, leurs occupations et surtout leur rapport à leur île. Nous devons pouvoir filmer l’île comme elles la voyaient, pas en touristes ou en esthètes. L’île était pour elles compagne de route, à la fois amie et ennemie. La durée de la résidence, un mois, nous a permis de nous habituer à l’île et de faire ce travail de regard. En trouvant le regard, nous avons trouvé la voix du personnage de Margue, et beaucoup progressé dans l’écriture.
Dans le film, Margue trouve une caisse de bougies à la grève et cet objet, qui apporte la lumière dans les nuits noires du Ouessant d’avant les phares, transforme sa vie. La vie en communauté relève maintenant d’un choix et non d’une nécessité. Lorsque son mari revient de deux ans en mer, redécouvrir son corps à la lumière de la bougie rend leurs retrouvailles possibles. Et enfin, Margue elle-même apprend à vivre avec elle-même, à la juste place entre le jour et la nuit, le grondement des vagues et le crépitement de la flamme.
Contrairement à d’autres artistes, nous n’avons pas quitté Finis Terrae avec un projet terminé. Nous continuons d’écrire et après l’écriture viendra le financement, puis le tournage, puis la post-production. Pendant toutes ces étapes, Margue évoluera, et le résultat final de ses années de travail aura été rendu possible par cette expérience de vie sur l’île à la résidence.